Les sciences et les lettres ont toujours entretenu une relation fructueuse et pleine d’échange, la médecine et la littérature spécialement ont eu un lien fécond. Que ce soient le grand nombre d’écrivains médecins, ou encore la forte présence d’aspects médicaux dans plusieurs œuvres littéraires, les preuves de la richesse de cet échange sont nombreuses et certaines.
L’intensité de cette connexion fait penser à une liaison amoureuse dont les fruits ont été exquis et marquants : « Une banale histoire », « L’éveil », « La peste », « La salle n° 6 », « Sherlock Holmes », « Les Aventures de Sir Launcelot Greaves », « L’intendant Sansho », « L’Envoûté » et plusieurs autres chefs-d’œuvre littéraires nés de plumes de médecins.
Parfois il s’agirait, dans certains textes, d’une concurrence entre les deux merveilles. Ainsi, c’est la médecine qui prédomine dans les ouvrages de certains auteurs, alors que c’est juste de la littérature simple et pure chez d’autres. Le fameux Tchekhov, roi de la nouvelle et médecin russe, avait dit à ce propos : « La médecine est ma femme légitime et la littérature, ma maîtresse ; quand je suis fatigué de l’une, je passe la nuit avec l’autre. »
Le vaste ensemble des prétendants de cette femme magique et envoûtante qu’est la littérature n’a pas épargné les praticiens. Certains de ces médecins se sont distingués et ont pu franchir la porte de l’histoire en tant qu’écrivains : Tchekhov, Céline, Rabelais, Duhamel, Conan Doyle, Sacks, Freud, Somerset Maugham…
Le couple littérature et médecine constitue en réalité un ménage à trois, qui implique également l’histoire. Les objets de connaissance, ce sont les interrelations entre la littérature et la médecine. Les outils, ce sont ceux de l’histoire de la médecine et de l’analyse littéraire.
Le et dans médecine et littérature implique plusieurs dimensions sociales et culturelles de la médecine. Certains débats médicaux permettent même une redécouverte originale de la littérature de l’époque. C’est par exemple le cas de l’inoculation de la variole, qui est discutée au sein de traités spécialisés mais qui, du fait de ses enjeux sociaux, est devenue un motif littéraire que l’on retrouve chez Rousseau et Sade.
Quelques portraits :
Anton Tchekhov, écrivain russe que plusieurs considèrent comme étant le maître absolu de l’art subtil de la nouvelle, était également médecin. Tout en exerçant sa profession de médecin, il publie entre 1880 et 1903 plus de 600 œuvres littéraires, dont la plupart sont des nouvelles et des pièces de théâtre.
François Rabelais, fameux écrivain français de la Renaissance a étudié à la faculté de médecine de Montpellier. Parallèlement à sa renommée grâce à « Pantagruel » et « Gargantua » entre autres, Rabelais avait atteint une notoriété solide en tant que médecin.
Oliver Sacks, plus contemporain, est un neurologue et écrivain britannique. Son métier a été présent dans ses productions, dont les plus connues sont : « L’éveil », adapté en cinéma avec Robin Williams et Robert De Niro dans les rôles principaux, « L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau » qui est un recueil où Sacks a décrit les affections les plus bizarres qu’il a rencontrées.
Georges Duhamel, ce prix Goncourt 1918 rendu célèbre grâce à ses romans sur la guerre et membre de l’Académie française était aussi membre de l’Académie nationale de médecine. Son roman « Civilisation » est considéré comme l’un des meilleurs romans à propos de la première guerre mondiale.
Arthur Conan Doyle, tout le monde connaît Sherlock Holmes, le détective de génie créé par ce célèbre auteur, mais la plupart ignore que Conan Doyle était médecin.
L’épitaphe de sa tombe, résumant plutôt bien sa vie, dit :
« VRAI COMME L’ACIER
DROIT COMME UNE LAME
ARTHUR CONAN DOYLE
CHEVALIER
PATRIOTE, MÉDECIN & HOMME DE LETTRES »
Louis-Ferdinand Céline, médecin et écrivain français, il a eu le prix Renaudot en 1932. Sa thèse de doctorat de médecine, « La Vie et l’Œuvre de Philippe Ignace Semmelweis » (soutenue en 1924), sera plus tard considérée comme sa première œuvre littéraire.
On s’est beaucoup interrogé sur la correspondance entre ses articles scientifiques et les sentiments véritables de Céline, sur le degré d’ironie de ces commentaires « médicaux », car quelques années plus tard, plusieurs passages de son œuvre principale « Voyage au bout de la nuit » dénonceront clairement l’inhumanité du système capitaliste en général et celui de l’industrie médicale en particulier.
Les marocains sont présents aussi :
Mai-do Hamisultane Lahlou, créatrice et guérisseuse de psychologies, cette écrivain psychiatre a hérité de sa famille les deux maîtresses que sont la médecine et la littérature.
Elle a dit à ce propos dans un entretien accordé à LesEco : « Sans trop savoir pourquoi, je me suis retrouvée comme tous les hommes de ma famille en médecine. Je n’aurais pas pu faire une autre spécialité que psychiatrie. Je n’ai alors pas eu à jongler entre la littérature et la médecine car en psychiatrie, que se passe-t-il d’autre que la vie ? Quant à la littérature, à quoi s’intéresse-t-elle d’autre qu’à la vie ? La frontière entre les disciplines est perméable ».
Elle a eu, entre autres, le prix Découverte Sofitel Tour blanche en 2016 pour son roman « Santo Sospir ».
Intissar Haddiya, écrivain et professeure agrégée de Néphrologie à la faculté de médecine et de pharmacie d’Oujda est née en 1981. Ses premiers essais littéraires étaient publiés en langue anglaise par Cambridge University Press en 2005. Auteur de nombreux travaux scientifiques médicaux et engagée dans la promotion du don d’organe, elle a publié recueil poétique « Au fil des songes » ainsi qu’un roman « Si Dieu nous prête vie ».
Mohamed Kohen, chirurgien à Casablanca. Il est né en 1956 à Fès, il a poursuivi ses études de médecine à Casablanca, puis à Nantes. Il a publié son premier roman « Le bloc des contradictions » en 2017.
Souad Jamai, cardiologue à Rabat, elle a suivi des études de médecine en France et en Belgique. Elle a publié son premier roman « Un toubib dans la ville » en 2016 chez les éditions Afrique Orient. Médecin, écrivain, artiste et élue communale, cette jeune femme donne l’exemple de la polyvalence et des cliniciens réellement actifs.
Si on comprend quelque chose à travers tout cet échange qu’entretiennent la médecine et la littérature, c’est qu’il n’y a pas de chemin ‘par défaut’ qu’on doit suivre afin de réussir. Ces personnes confirment que la polyvalence ne veut pas nécessairement dire moins de rendement, et qu’il est toujours possible de suivre ses rêves et ses passions.